Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute.
L’autre jour, nous avons travaillé sur le thème des obstacles à l’élan naturel de contribution. Dans un chapitre de son libre Marshall Rosenberg inventorie les mécanismes qui selon la CNV ne favorisent pas l’élan naturel de vie.
Parmi ceux ci, il y a les éloges.
Alors on peut se relier à la citation ci-dessus, en imaginant que l’éloge peut devenir une carotte après laquelle on court, nos motivations à agir sont donc moins reliées à notre élan naturel de contribution. Et personnellement, j’ai une nette préférence pour qu’une personne qui fait quelque chose d’agréable pour moi le fasse parce qu’elle en a l’élan plus que pour recevoir un éloge de ma part.
Nous avons bénéficié de deux situations principalement et j’avais envie de les rapporter ici parce qu’elles me semble illustrer plusieurs aspects de la question
.
Je symbolise ici de façon arbitrairement sinusoïdale une courbe d’humeur ordinaire. Le but est de modéliser le fait qu’il y a des moments agréables et d’autres qui le sont moins.
Vignette 1 :
A dit à B qu’il est beau.
Le travail a consisté à détricoter ce qui était vivant (1) chez A.
On a donc traduit ce «Tu es beau!» en autre chose et on a pu demander à B, qui était là, comment résonnaient les deux pour lui.
Phase 1 : Traduction…
Ce qui en est sorti, pour A, c’est qu’il y avait d’abord beaucoup de surprise et de joie à voir l’harmonie des chaussures, des couleurs du costume et des cheveux de B. Il y avait aussi la texture douce de la veste qui a réjouit A. Ensuite, A s’est sentie touchée par la démarche de B de s’habiller ainsi, c’est venu caresser son besoin d’unité dans le couple. Ca donnait le sourire à A d’en parler ainsi.
phase 2 : comment on l’exprime.
En langage girafe classique? On s’esclaffe et on se dit qu’on ne peut pas vraiment le dire comme ça, alors on traduit en langue girafe de rue. Ca donne quelque chose comme :
«Quand je te vois habillé comme ça, je suis surprise et je me réjouis de la couleur de ton costume et la texture douce de ta veste, que je trouve particulièrement en harmonie avec tes chaussures et ta couleur de tes cheveux. Je dois dire aussi que je suis touché par ta démarche parce que c’est précieux pour moi : je reçois ça comme une attention et je me sens en unité avec toi».
Phase 3 : Lorsqu’on a demandé à B comment il percevait les deux.
La première : l’avait incité à la méfiance, «mais qu’est-ce-qu’elle me veut? Est-ce-que j’ai fait quelque chose de travers? Est-ce-que ça veut dire qu’elle trouve que j’aurais dû lui dire qu’elle était belle?»
La deuxième : B n’était pas non plus complètement à l’aise avec ce retour mais il n’avait plus de méfiance et se trouvait plus apaisé.
Dans ce cas, on peut observer comment un éloge peut être un obstacle à l’élan naturel de lien.
Vignette 2 :
A dit à B qu’elle est belle.
Le travail a consisté à détricoter ce qui était vivant chez A.
On a donc traduit ce «Tu es belle!» en autre chose et on a pu demander à B, qui était là, comment résonnaient les deux pour elle.
Phase 1 : Ce qui en est sorti, c’est qu’il se passait beaucoup de choses en A, notamment la joie et l’énergie que lui procurait la vue de cette robe aux couleurs vives qui épousait le corps de B. A a même partagé qu’elle était toute émoustillée. Lorsqu’elle est allée visiter ce que ça lui avait fait, son corps tout entier nous en a parlé et c’était en soi un élément d’expression. Un autre besoin nourri qui est venu un peu plus tard était ce besoin d’appartenance, d’affirmation de soi et de confiance. Le fait que B ait porté cette robe a donné à A la confiance qu’elle pouvait elle aussi s’affirmer avec sa couleur féminine. J’ai été ému d’apercevoir l’ampleur de ce que ça avait pu produire chez A!!
Phase 2 : comment on l’exprime.
Comme dans l’exemple précédent, on traduit en langue girafe de rue. Ca donne quelque chose comme :
«B! quand je te vois ce matin dans cette robe, ces couleurs et sa taille qui épouse tes formes me rendent toute émoustillée et je me rends compte que ça vient toucher ma joie et mon émerveillement! Et dans un second temps, je réalise aussi que ça vient m’apporter de la confiance et de l’appartenance, quant à la possibilité de s’affirmer en choisissant des habits comme les tiens.»
Phase 3 : Lorsqu’on a demandé à B comment elle percevait les deux il n’y avait pas photo, elle a été touchée de savoir tout ce que ce qu’elle avait fait avait pu nourrir chez A.
Pour moi ce second exemple illustre le fait qu’une situation vécue comme agréable peut être exhaustée à une lecture que peut en offrir la CNV. Autrement dit, plus de conscience sur ce qui s’est joué peut amener à danser plus près du vivant. Attention, ça peut devenir addictif! 🙂
Un focus a été mis sur les observations, elles sont au centre, avec les sensations corporelles. Elles nous permettent de clarifier ce qui s’est joué en nous et quels en ont été les stimulus. En l’occurrence, lorsqu’on avait mis le doigt sur les détails qui avaient amenés les A à vouloir partager ce qui se vivait en eux / elles, B se sentaient déjà beaucoup plus tranquilles. Comme décollés de l’histoire. Une anecdote est venue parachever ce focus. Un-e des participant-e-s m’a envoyé un mail suite à l’atelier me disant :
Merci pour la rigueur et la fermeté douce avec lesquelles tu as « tenu » les jeux hier, ils m’ont passionnée et ont nourri mon besoin de repères.
Si j’ai bien compris que ce message tentait de m’adresser quelque chose d’agréable et me remerciait pour ce que j’avais fait, quelque chose demeurait inconfortable pour moi.
Dans ma perception, la fermeté et la rigueur, font ressortir des images de sévérité, de dureté auxquelles je n’aime pas trop être identifié. Je lui ai demandé sur quels faits elle s’était basée pour m’écrire ces mots. Lorsqu’elle m’a précisé ce dont elle parlait,
– tu as fait revenir A sur la description de l’habit de B, sur la sensorialité de cette observation sur l’allure de B et tu reformulais plusieurs fois, ce qui l’amenait à amplifier ses perceptions.
– tu as demandé au groupe de donner plus d’empathie à A pour soutenir son approfondissement et sa recherche de puiser en elle ressenti et besoin. (NDLR, à un moment où il y avait des apartés)
j’ai beaucoup mieux compris et j’ai été touché d’avoir été vu. Ca m’a donné de la joie et c’est venu résonner comme de la reconnaissance, je me suis dit que j’avais apporté une contribution.
Je ne résiste pas à vous partager l’illustration de Leti Gribouille qui m’apporte de la clarté sur le coût double des jugements positifs : d’une part, la personne qui l’envoie n’a pas la joie de percevoir ce qui se vit en lui, la personne qui le reçoit quant à elle, ne comprend pas (autant que possible) de quoi ça parle.
(1) Expression un peu prout prout en CNV pour dire comment se sentait la personne et quels étaient les besoins en jeu, nourris ou non nourris (en CNV les besoins constituent l’énergie de vie, ils sont, tels des pulsions de vie, l’origine de nos démarches).